09/06/2007
ENERGIE ELECTRIQUE AU MAROC OU LA CHRONIQUE D'UNE CRISE INELUCTABLE
Décidément le secteur électrique marocain ne sait plus à quel saint se vouer. La production des centrales semble-t-il n’arrivera pas, dans un proche avenir, à suivre l’évolution de la demande galopante en énergie électrique, passant de 5 % l’an en 2002 à 8,5% à fin 2005
La production, le transport et la majeure partie de la distribution de l'électricité sont contrôlés par l’O NE, entreprise publique, qui constitue un monopole d'État. La production des usines hydrauliques installées au niveau des barrages et des petites centrales thermiques éparpillées à travers le pays d’une puissance de 150 MW chacune : à Jerrada, à Casablanca, à Tanger et Kenitra satisfaisaient largement la consommation nationale. Ce n’est qu’en 1983 que la première grande centrale thermique d’une puissance de 600MW a été construite à Mohammedia. S’en suivirent 20 ans de peu d’investissement dans ce secteur, si ce n’est la conversion d’une partie de cette même centrale au charbon suite à l’enchérissement des prix du pétrole et la construction d’usines hydrauliques sur les nouveaux barrages. Les pouvoirs publics estimaient alors que la puissance installée allait largement satisfaire la demande d’un pays faiblement industrialisé et peu électrifié. Rien ne présageait donc une quelconque crise d’énergie électrique.
En réalité, les vrais problèmes du secteur électrique ont commencé en 1991 avec la coupure légendaire du courant électrique dans tout le royaume. Cette coupure qui était vraisemblablement due au relâchement d’un groupe de production à Mohammedia, avait mis à nu la fragilité de notre politique dans le domaine de l’énergie électrique. Sur le plan investissement, l’Etat actionnaire unique n’avait pas répondu à temps aux demandes de fonds d’investissement faites par les dirigeants de l’O NE durant un grand nombre de Conseils d’Administration de cet organisme présidés par les Premiers Ministres de l’époque. Dans une première au Maroc, le Directeur Général de l’Office National d’Electricité fut limogé et remplacé par un de ses proches collaborateurs qui fera d’ailleurs lui même long feu à cause du lourd l’héritage légué par son prédécesseur. Le Ministre de l’Energie des Mines de l’époque avait fait un exposé en conseil de gouvernement sur la situation critique du secteur électrique au Maroc. Ce fut un exposé brillant et mémorable, qui représente d’ailleurs une référence et serait d’actualité même aujourd’hui. C’était à partir de ce moment là, que le gouvernement marocain et les acteurs économiques avaient commencé à prendre conscience de l’incapacité de nos centrales à répondre à la demande devenue de plus en plus importante en énergie électrique et que la Maroc n’est toujours pas à l’abri d’une défaillance de son système d’approvisionnement en énergie électrique. Malheureusement, après la coupure, la crise s’était installée confortablement et avait obligé le pays à vivre des délestages avec toutes les conséquences économiques et sociales que cela avait entraînées. Pour parer au plus urgent et essayer de colmater la brèche, la décision de construire trois turbines à gaz de100 MGW chacune fut prise dans la foulée. Elles seront réalisées entre 1992 et 1993. Cet investissement hâtif a coûté la bagatelle de trois milliards de DH.
Devant cette situation déplorable et critique, la pression de la Banque Mondiale et la mouvance à la mode de la libéralisation durant les années 90, avaient poussé l’Etat marocain à envisager la possibilité de céder, une partie de la production d’électricité à des intérêts privés. Un décret loi fut promulgué en septembre 1994 autorisant enfin la cession d’une partie de la production électrique au privé. En effet, et en application dudit décret l’O NE avait concédé la construction et la gestion de la centrale de J o r f L a s fa r fonctionnant au charbon à un groupe étranger avec obligation de lui vendre exclusivement sa production. Cette centrale à elle seule représente pratiquement 61% de la production nationale en énergie électrique. De même, il a été procédé à la construction en 2005, en partenariat avec des groupes étrangers, de deux centrales l’une à Ta h d a r t e d’une puissance de 400 MW fonctionnant au gaz naturel et l’autre éolienne de 50MW à Koudia Elbaida. Avec ces deux centrales notre puissance installée à fin 2005 est de 5252 MW (soit : 66% thermique, 33%hydraulique et 1% éolienne). Cependant, la production nationale dégage un déficit en énergie appelée de 810 GWH. L’interconnexion avec le réseau électrique espagnole mise en exploitation depuis 1998 permet de couvrir 4,2% de la consommation nationale.
Parallèlement, l’O NE avait connu une restructuration de son organisation. Le troisième Directeur Général avait assigné une nouvelle mission à ses collaborateurs leur permettant de devenir beaucoup plus de véritables gestionnaires que de simples techniciens, pour pouvoir d’une part superviser les contrats des centrales de J o r f L a s fa r et de Ta h d a r t e et d’autre part de mettre en application le Programme de l’Electrification Rurale Générale qui devait permettre l’électrification de la zone rurale à hauteur de 85% environ vers fin 2007. Le ministère de tutelle par contre, n’a fait sa restructuration que 10 années après celle de l’O NE en pleine période du départ massif en retraite et de l’opération « Départ volontaire ». Cette dernière opération, on le sait maintenant, a décapité les compétences de ce département dans tous les domaines notamment les ingénieurs responsables du secteur électrique. C’était une restructuration sans mission et sans objectif collectif précis. Cela explique en partie la défaillance du Ministère de tutelle à assurer la veille permanente en matière de la planification de l’énergie électrique. Les responsables de tutelle, comme le dit un ingénieur du même département qui requiert l’anonymat, sont comparables aux joueurs d’échecs novices qui connaissent parfaitement les règles du jeu mais malheureusement les stratégies leur font défaut. Depuis cette restructuration les responsables du secteur, chacun dans son cocon, dorment sur leurs lauriers croyant à nouveau être à l’abri de toute crise comme celle connue il y a 15 ans environ. D’ailleurs, le Ministère de l’Energie et des Mines et l’O NE n’arrivent pas à communiquer entre eux à cause de leurs intérêts divergents et contradictoires. Seule la petite paperasse circule entre eux, les grands dossiers restent sans issue sur le bureau des responsables de la tutelle. Les dossiers de la libéralisation du secteur électrique et de l’électronucléaire en constituent l’exemple parfait. De ce fait, la question énergétique demeure gérée chez nous au coup par coup, sans politique cohérente basée sur une vision énergétique globale.
Justement, toute notre politique énergétique est théorique et basée sur une stratégie aléatoire en matière de production de l’énergie électrique: usines hydro-électriques, les énergies renouvelables, centrale thermique au gaz naturel et l’interconnexion. En effet, la puissance hydraulique potentielle qui se monte actuellement à 1729 MW soit 33% de la puissance totale installée demeure de faible contribution au niveau de la production et sa part dans la consommation nationale ne dépasse guère une moyenne annuelle de 4%, compte tenue de la sécheresse chronique que connaît le pays. L’importance donnée aux énergies renouvelables dont le Maroc ne maîtrise pas la technologie puisqu’il ne fait qu’importer les installations dans ce domaine, est un leurre. C’est une technologie aléatoire qui marche au bon vouloir de la nature. D’ailleurs, les experts dans ce domaine affirment que la vitesse du vent tend vers zéro au coucher du soleil et durant la nuit, et malheureusement c’est là où la demande en énergie est la plus importante. Ces énergies ne sont que des énergies d’appoint même chez les pays européens qui en maîtrisent la technologie et ne représenteront dans le bilan énergétique que 10 à 12% de la consommation globale en énergie électrique d’ici à 2012. Le gaz naturel utilisé à la centrale thermique de Ta h d a r t e représente la redevance en nature payée par l’Algérie comme frais de passage, à travers le Maroc, du gazoduc reliant l’Europe aux gisements algériens. L’Algérie, pour des raisons économiques, a limité le volume de ses exportations annuelles du GME à 14 milliards de m3 au lieu de 20 prévus initialement ce qui minimise la possibilité pour le Maroc d’acheter des quantités supplémentaires en ce produit. La possibilité qui reste pour le Maroc c’est l’importation du gaz naturel réfrigéré par méthaniers. Quant à l’interconnexion, c’est une énergie d’appoint qui peut présenter des inconvénients au cas où la pointe marocaine coïncide avec celle de l’Espagne.
Quoiqu’il en soit, si le Maroc continue à gérer le secteur sans vision ni stratégie claires, en maintenant sa politique d’esprit illusionniste, l’éminence d’une crise de l’énergie électrique annoncée récemment par les médias s’avère inéluctable. Malheureusement, le mutisme des responsables sur ce sujet ne peut que confirmer cette thèse.
Signé : Omar Elfetouaki
E-MAIL : elfetouaki_om@yahoo.fr
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